Nid - Camille Bernard
CAC Brétigny, centre d'art contemporain d'intérêt national

Tandis que Cheveux bruns se fond doucement dans le paysage et devient pierre, Cheveux ardents continue d’entrelacer distraitement une de ses longues boucles blondes entre ses doigts. Une cabane s’érige mollement autour de leurs deux corps, s'y emmêle. On ne sait pas bien s’ils sont à l’intérieur ou s’ils sont la cabane. Les branches et les mèches se nouent avec hésitation, formant un réseau flottant de bifurcations et de lignes libres, presque fuyantes. Comme s’il suffisait de tirer un peu, ici sur une branche, là sur la pointe d’une mèche, pour que tout glisse. Que rien ne tienne. La cabane semble devancer sa ruine par son refus de l’achèvement. Malgré ses allures frêles, l’ensemble se maintient pourtant, un peu gauchement. Comme si d’emblée, il n’était pas tant question de durée mais de langueur et de délicatesse, d’une mélancolie douce que le paysage alentour accueille volontiers. Dans sa technicité miraculeuse, l’échafaudage gracile invite à d’autres constructions possibles.
Invitée au CAC Brétigny par l’équipe du centre d’art, Camille Bernard, jeune peintre franco-écossaise, présente la série Nid, un nouveau groupe de peintures qui donne son nom à l’exposition. Faire des nids, c’est imaginer des façons de vivre et de faire dans un monde en perpétuel changement. C’est se ménager des lieux, plutôt qu’en aménager; préférer des opérations discrètes et patientes, sérendipitement laborieuses, à une occupation virile de l’espace et du temps. Construire des nids, non pas pour se retirer du monde, mais pour lui faire face. Les meilleurs abris sont ceux dont on peut partir à tout moment, ceux qui autorisent le refus et le désir de changement. Les personnages des tableaux de Camille Bernard le savent, cherchant à réinventer plutôt qu’à s’abriter. Et la réinvention, c’est à plusieurs. Ça passe par l’amitié, par le groupe. Que ce soit dans l’affairement mou, en s’attelant tantôt à élever une coupole de branchages, tantôt à jouer du bout de la langue avec des gouttelettes d’eau; ou dans l’inaction, à l’image de ce trio pensivement absorbé sous des ondulations de fleurs et de lianes, les toiles de l’artiste irradient d’une tranquillité suave et frémissante. Les personnages font corps les uns avec les autres, nichant dans une nature qui embrasse leur activité, comme leur ennui. On s’y réunit, on s’y active, mais on s’y absorbe et on s’y assoupit aussi. On y fait des trucs sans savoir forcément quoi, pour le plaisir de faire. Un peu comme à l’école buissonnière, celle dont on a repoussé les murs et qu’on a choisi de faire sienne.
Alors l'Ǝcole viendra s'y écrire, à la lumière de l'été qui vient chauffer le sol du centre d'art, conviant chacun·e à tresser ses désirs de savoir et de transmission. L’Ǝcole est un espace de discussion et d’expérimentation pour réfléchir ensemble les usages d’une école alternative des pratiques et savoirs en arts visuels. Initiée en octobre 2020 au CAC Brétigny, et se réunissant à raison d’une fois par mois, au gré des confinements, l’Ǝcole a jusqu’ici fédéré un ensemble de personnes d’horizons variés qui ont en commun un désir d’apprendre et de faire autrement. Les communautés rêveuses de Camille Bernard accueillent donc à leurs côtés celle de l’Ǝcole, un groupe aux contours flous, dont la composition varie suivant les saisons, l'envie et la vacance de chacun·e. Un groupe qui continuera de muter et de se développer durant l’exposition au gré des rencontres et des allers et venues. Pour le recevoir, Camille Bernard, avec la complicité des artistes Corentin Darré et Simon Lahure, a façonné un mobilier, enfant du cailloux et de la ronce sorti tout droit de ses tableaux. Y prendront ainsi place les activités, les dialogues et les rêveries de l’Ǝcole. De larges pierres et quelques branchages depuis lesquels à son tour concevoir des nids, s’essayer aux cabanes de cheveux, devenir roche et se métamorphoser. Miroirs oniriques de ce qui s’essaie lentement au sein de l’Ǝcole, les univers habités de Camille Bernard poussent au groupement et à l’agitation enthousiaste et tâtonnante de celles et ceux qui se refusent aux rôles et aux identités imposés.
Vernissage le dimanche 15 mai 2022 - 15h
CAC Brétigny
Centre d'art contemporain d'intérêt national
rue Henri Douard
91220 Brétigny-sur-Orge